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L'homme qui n'a pas d'étoile
6 décembre 2013

Ma première rencontre avec la pauvreté

Lorsque je vous ai raconté l'histoire de Rémi, je m'inspirais de faits réels que j'ai connu. C'est peut-être pour ça que ces textes étaient si intenses. Je n'ai pas autant de talents qu'on le pense. Je ne fais que "rapporter" ce dont j'ai été témoin.

L'histoire de Rémi était certes à l'époque, « une fiction ». Mais en vérité, c'est le triste quotidien de beaucoup trop de gens, hommes et femmes, dans notre pays.
La pauvreté et la précarité ont toujours existé à plus ou moins grande échelle selon les décennies dans notre pays. Mais elle n'a jamais été aussi grande depuis ces dernières années et s'est multipliée par dix en mettant des millions de personnes dans de grandes difficultés. 

Aujourd'hui, je vais vous parler de la première fois que j'ai rencontré la pauvreté. Que j'ai pris conscience de ce qu'était la misère, pour être plus exacte. Pas pour moi alors. Pour d'autres.
Je n'ai pas voulu en faire une "histoire fiction". Je la raconte comme je l'ai vécue.

La première fois, j'avais dix-huit ans. Il y avait un vieu monsieur très sympathique avec tout le monde qui vivait dans un très vieil appartement. J'avais l'habitude de passé chaque matin. Comme je vous l'avais dit, j'étais un garçon "populaire" et cette popularité venait surtout de ma gentillesse envers les gens. Je saluais ce vieux monsieur que j'appréciais beaucoup et j'avais pris l'habitude de caresser son chien, aussi vieu que lui, qui me faiisais la fête lorsqu'il m'appercevait. 
Le vieu monsieur était un retraité de la fonction publique. J'ignore les raisons pour lesquelle il vivait aussi pauvrement. Je n'ai jamais eu l'indécense de lui demander. Peut-être un parcours difficile ou des dettes accumulés. La vie ne fait pas de cadeau. Mais il était vraiment très pauvre. A part son chien, il n'avait presque pas d'amis. Bien sûr, il y avait les gens du quartier où j'habitais alors qui le saluais et discutais parfois cinq minutes avec lui. Ce vieu bonhomme était très digne et ne se plaignait jamais. 
Je souhaitais qu'il me parle de l'ancien temps et de ce qu'il avait vécu. Il avait été résistantant pendant l'occupation et j'aimais qu'il me raconte sa vie d'alors. J'ai toujours été intéressé par la vie des gens. Alors il m'a invité un mercredi après-midi afin de me parler de cet épisode de sa vie et cela m'a permis de faire mon exposé d'histoire. Car j'étais alors encore lycéen. 
C'est en entrant chez lui que j'ai constaté dans l'état de pauvreté qu'il vivait. Je n'ai fait mine de rien. J'avais appris à être très polis et je m'étais fait un code d'honneur de ne jamais montrer mes sentiments, quels qu'ils soient. 
Il m'avait acheté des gâteaux et pas les plus mauvais. Il devait s'être privé pour me faire cet honneur. 
Je n'ai jamais oublié ce vieu monsieur retraité de la police nationale. 
C'est ma première prise de conscience. C'est une des raisons, je pense, pour laquelle je me suis engagé très jeune dans la politique. 

La deuxième fois est bien plus dramatique.

Je me rappelle de cette journée de début de printemps. J'avais alors 21 ans et mon frère 20 ans. Mon frère avait la qualité de se faire beaucoup d'amis, contrairement à moi. Et il était souvent de sortie pour les visiter.
Ce jour-là, nous devions allons aller faire une course dans un grand magasin. Il avait déjà une voiture et moi non. Et comme il avait reçu un appel téléphonique d'un de ces amis chez nous (nous vivions encore tous deux chez notre mère), il avait décidé de passer d'un trait chez ses amis, sans me demander mon avis, bien sûr. 
Arrivé à la tour hlm il m'avait demandé de le suivre. Je n'avais pas osé refusé mais j'avais vraiment peur de déranger. Je ne connaissais pas ses amis. Je fus aussi bien reçu que si je l'avais été. 
La première chose que j'ai vu, c'est un petit appartement presque vide de meubles. J'ai pensé sur le coup qu'ils débutaient dans la vie et que c'était normal. Dans le salon, un landeau avec un bébé. Leur petit bébé qui devait avoir peut-être un an ou pas. Je ne sais plus. Cela sentait le lait, le talque et la couche culotte. 
Son ami, un garçon d'environ 20 ans et sa femme ou sa concubine qui n'avait que 18 ans. Lui, un brun au visage aigue. Elle, une brune au visage très mince et très pâle et elle était bien maigre. 
Dans le salon, tout semblait n'être que le royaume du bébé. Je me rappelle de la table et des quatres vieilles chaises. De l'odeur de café et d'un maigre paquet de sucre. Il n'y avait plus de lait que celui en poudre pour le bébé. La jeune maman s'était excusée de ne pas en avoir acheter. Sa voix était maladroite et fatiguée. Elle semblait au bord de l'épuisement. 
Les amis de mon frère semblaient attendre beaucoup de mon frère. Bien que je fus bien reçu, je me rendais compte que j'étais de trop, au vue du service que voulait demander l'ami de mon frère.
Après quelques discussions vagues, il s'était engagé tout de suite dans les difficultés que sa femme et lui rencontraient.
Ils n'avaient plus d'argent. 
Ce ne fut presque pas une surprise pour moi de l'entendre dire, avec une immense gêne, qu'il n'avait plus un sous. Comme je vous l'ai dit, leur appartement était presque vide de meubles et tout respirait la pauvreté. 
J'avais d'ailleurs refusé le café prétextant que je n'en buvais jamais deux le matin. Ce qui était vrai, d'ailleurs. Mais j'avais surtout remarqué que le paquet était presque vide. 
Puis laissant sa pudeur de côté, il avait demandé si mon frère ne pouvait pas lui prêter de l'argent pour finir le mois. Mon frère avait la chance d'avoir déjà un petit travail, à l'époque. Mon frère lui expliqua alors qu'il n'avait pas beaucoup d'argent et qu'il devait surtout rembourser sa voiture. C'était un peu vrai. Mais il ne payait pas de loyer et n'était pas pauvre contre son ami qu'il lui avait fait cette demande. 
J'ai vu cet homme être très gêné, un peu humilier, s'excuser auprès de mon frère pour avoir fait cette demande. 
J'ai vu la détresse de sa petite amie désespérée. Il y eu un silence très gênant.

J'ai regardé le bébé. Il ne semblait manqué de rien. En tout cas, il ne manquait pas d'amour et de soins. Ses jeunes parents se sacrifiaient par amour pour lui. L'ami de mon frère venait de perdre son emploi et n'était pas encore indemniser. 

J'ai encore regardé le bébé qui dormait. J'ai vu le désespoir dans les yeux de ce couple. Mon frère terminait de boire son café. Il disait comprendre la situation de son ami. Je doute qu'il comprennait vraiment. Je n'ai jamais vu une telle détresse. Mon frère semblait être le dernier espoir de ce couple. Pourquoi leurs familles ne les aidaient pas ? Je l'ignore. Mais ils étaient bien dans une profonde difficulutées. Pourquoi les services sociaux d'alors n'avaient rien fait ? Il avait fait quelque chose. Ces services s'étaient assuré que le bébé ne manque de rien. C'était tout. Les parents, eux, n'avaient qu'à se débrouiller. 

Mon frère leurs dit qu'il fallait "qu'on y aille". Il semblait tellement gêné qu'il était pressé de partir. Moi aussi d'ailleurs.
Je n'avais presque pas ouvert la bouche. Je ne les connaissais pas bien. 
Ce jour-là, j'avais 150  francs sur moi. Nous voulais faire un gros achat et à cette époque c'était quand même une petite somme. Bien que je ne les connaissais pas, j'ai proposé de leur prêté. Ils ont été gêné mais on acceptés. Ils en avaient trop besoin. Mon frère pris l'acceuil de cette nouvelle comme si c'était grâce à lui. Puis nous sommes parti.

C'est un des pires moments de ma vie. J'ignore comment ces gens s'étaient mis dans cette situation. Certainement la venue de l'enfant et la perte de l'emploi. A l'époque, je n'avais pas cette expérience. Je ne pensais même pas à vivre en couple et la responsabilité de parent m'était inconnue. 

Je n'oublierai jamais cette scène. J'ai encore l'odeur du biberon du bébé à la mémoire de mes narines. Et cette précarité de cet homme et de cette femme... leur détresse aussi.

Voilà comment j'ai fait connaissance avec la pauvreté que je croyais effacée à tout jamais de mon pays.

Ces deux expériences m'ont marquées à jamais. Le vieu monsieur retraité et ce couple qui s'aimait. Car s'il y avait la pauvreté de l'argent, l'amour était bel et bien présent lui. Un homme qui s'humili à demander de l'argent pour sa famille est bien un vrai homme. Parfois, il faut savoir se rabaisser pour ceux qu'on aime. Deux leçons de la vie que j'ai appris. 
Je sais que mon frère n'en a pas pris conscience, alors. Il était trop jeune et trop insouciant. Mon frère était plus jeune, d'un an que moi, à l'époque. Néanmoins, c'était l'ami de ce couple et il avait un emploi. A mon avis, il aurait dû prêter cet argent à ses amis. Rien que pour le bébé. En tout cas, moi, je l'ai fait, en partie, pour ça. Son excuse, c'était sa jeunesse. Moi aussi, j'ai commis des erreurs étant jeune. Je n'étais pas meilleur que mon frère. J'étais juste un peu plus conscient. Ou bien, j'avais un peu plus de sensibilité. Pour la défense de mon frère, je dirais qu'il était un type bien malgré tout à cette époque. Il n'hésitait pas à donner un coups de main à ses amis. Depuis qu'il avait son permis de conduire, il faisait le taxi gratuit. Il faut lui reconnaître cette qualité. 
Ce couple m'a remboursé. Je n'ai jamais trop pris de leurs nouvelles. Je n'étais pas leur ami. J'ai appris que l'ami de mon frère avait trouvé un boulot. C'était une bonne nouvelle et j'étais content pour ce couple. 
Il faut vous avouer que je suis avare. L'argent, c'est sérieux pour moi. Mais là, la vie d'un enfant était en jeu. 
Je n'attendais aucun merci et aucune reconnaissance de ces personnes. Je n'attends pas de "merci" du bien que j'ai pu faire par le passé ou que je pourrai faire, si je peux, dans le futur. J'ai de l'honneur et cela passe par le fait que je n'attends pas que les autres se rabaissent. 

Je n'ai pas écrit ce texte pour me vanter et cela m'est bien égal de faire le buzz. Je n'attends pas de compliments non plus. J'ai toujours eu horreur de l'injustice. Et pour moi, la pauvreté en est une des plus grande avec la maladie. 

La pauvreté a refait surface et aujourd'hui ce sont des millions de gens qui sont touchés dans notre pays. Et il ne semble que rien n'est fait par les gouvernements de droite ou de gauche pour lutter contre ce fléau. 

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