Partir quand même
Ce qui est bien lorsqu'on est mercenaire, c'est qu'on ne reste jamais au même endroit. Ici on a eu besoin de moi et maintenant c'est fini. C'est officiel depuis le début du mois. Je le savais, donc pas de regrets. Je pars sans faire de scandale. Je ne fais pas de bruit. Je n'ai pas trop d'affaire à dégager, puisque j'étais partout et nul part à la fois.
Une personne va me manquer. Une personne que je ne m'attendais pas à rencontrer, parce qu'elle remplaçait une autre personne avec qui je devais traiter. Mais je traite avec tellement de gens que j'ai l'habitude des changements de programme. De plus, je n'étais pas sensé la rencontré. Enfin si, tout de même. Ce mois de novembre là, Lucie m'a demandé qui j'étais. J'allais de bureau en bureau, de ville en ville, de droite à gauche...
Elle aurait pu ne pas faire attention à moi. Mais elle aussi était nouvelle. Alors pas fière pour deux sous, elle m'a invité jusqu'à son bureau, afin de faire connaissance. De toute façon, ses rendez-vous étaient terminé. Mais vous connaissez l'histoire.
Je savais que je ne devais pas m'attacher à elle. À quoi ça servait. Mais parfois on ne choisi pas. Mais parlons d'autre chose.
Donc, je pars. Oui, je pars comme à mon habitude. Et comme d'habitude, personne ne me dira au revoir. Parce que c'est comme ça. J'ai horreur des au-revoir qui ne servent à rien.
Un mercenaire fait le boulot pour lequel il est payé. Il n'est pas là pour faire du sentiment. J'ai l'habitude maintenant. Avec le temps on s'y fait. On se fait à tout d'ailleurs. Au fait qu'on a pas vraiment de collègues; qu'on appelle collègue parce que dans l'esprit c'est comme ça. Ou plutôt, ils vous appellent par votre prénom. Ça fait, appartenir à la maison. Mais aussi étrange que cela va vous paraître, il n'y a presque personne qui m'appelle par mon prénom... pour ne pas dire personne.
Un cas, par-ci ou par-là. Non, à vrai dire personne.
Alors oui, je sais, ça fait bizarre, étrange même, voir incroyable. Mais c'est comme ça.
N'oubliez pas que je suis un mercenaire... qu'un mercenaire. Parce que ne nous y trompons pas. On attend pas de moi que je reste. Non, je dois faire le boulot que personne ne veut faire un moment donner et c'est tout. Alors pas besoin de sentiments ni de familiarités.
N'allez pas croire que je suis exclu. Enfin pas vraiment. Je suis juste « monsieur » et c'est déjà pas mal. Mais je n'appartiens à aucun groupe en particulier. D'ailleurs, je ne demande pas d'autres titres que celui de mercenaire. J'ai pas besoin d'une particule inutile. J'ai pas de bureau à moi. J'ai pas d'endroit à moi. Je vais et je viens. Si on a besoin de moi dans la capitale régionale ou ailleurs, on me donne un coup de téléphone et la standardiste transmet. Parfois, je réponds d'un semblant de bureau ou d'une salle où je me trouve et je m'y rends. Parfois, je réponds de chez moi.
Je sais que beaucoup de personne tape sur le moteur de recherche : qu'est ce que c'est un mercenaire? Comment devient-on mercenaire?
Je vous ai déjà répondu là-dessus. Mais je vais un peu m'y attarder pour les personnes que cela intéresse.
Alors en ce qui me concerne, le mercenaire que je suis n'est pas vraiment un mercenaire à proprement parler. Inutile de rêver d'aventures, d'armes à feu et de belles poupées qui vous embrasse dans des bars de durs sordides et enfumés. Non, rien de tout çà.
Je veux juste ouvrir une parenthèse sur les véritables mercenaires. Un mercenaire, un vrai, n'a rien de glorieux ni d'aventureux. C'est juste un soldat qui loue ses services aux plus offrants. Un job comme un autre d'ailleurs qui existe depuis des siècles. Je ferme la parenthèse.
Donc, j'en reviens au mercenaire à moi. Si vous voulez devenir mercenaire, c'est possible. Tout dépend quel métier vous exercez. Un mercenaire peut très bien avoir un bon job et être très bien payé. Mais il sera malgré tout seul avec un avenir incertain.
En temps que mercenaire, j'ai fait ce que je devais faire. Bien sûr, j'espère toujours au fond de moi, un espoir, un endroit où je serai enfin chez moi. Avoir de vrais collègues que je pourrai tutoyer, taper dans le dos, rire, fêter les fêtes au lieu de bosser, fêter les départs et les arrivées et même critiquer à tout va avec des ragots qui font que vous appartenez à un clan. Même si je conçois quand même la chose autrement lorsque j'appartiens à un clan. Mais c'est tellement bon de critiquer le nouveau lorsque vous savez que votre avenir est assuré dans un job bien à vous avec des collègues bien à vous dans votre lieu travail bien à vous. Embrasser les collègues féminines. Lorgner la petite nouvelle. Taquiner la petite stagiaire toute jeune qui vous suit comme si vous étiez un guide de montagne et qui ne vous quitte pas des yeux avec son petit calepin à la main notant le moindre détail qui est peut-être celui qui la fera accéder dans la maison mère.
Non, un mercenaire est un sempiternel nouveau. Il ne s'attache pas. Et s'il le fait, on lui fait très vite comprendre qu'il ne devrait pas. Parce que tout le monde vous regarde toujours d'un regard suspicieux de peur que vous leur piquiez la place.
Alors moi, aujourd'hui, je vais partir. Parce que c'est comme ça. Parce que c'est la vie. Je ne me plaint pas. C'est mon choix. Enfin, pas tout à fait. Mais, dans ces moments là, c'est bon de se dire ça. Parce que sinon, on fini par ne plus pouvoir le faire. Et c'est le début de la fin.
Oui, c'est vrai, je suis un gun man. Je suis un régulateur. Je suis un nettoyeur. On me paye pour ça. Pour la faire western, je finirai comme Bill Hickock, une balle dans le dos ou comme Doc holliday dans un asile de tuberculeux. C'est ainsi que naissent les légendes. Dans la boue. Et meurent dans la boue. Plus tard, on raconte dans les livres à quatre sous qu'ils étaient vraiment bien. C'était les meilleurs. Ben ouai.
Je pars, sans faire de bruit. C'est presque tant mieux que Lucie ne soit pas là. C'est mieux. Ces copines non plus. Je n'ai pas envie de plainte ni de jérémiade, inutile et mal venues. Je suis payé pour faire mon job et ne pas la ramener. Même si j'ai tendance à le faire un peu trop souvent. C'est un des avantages. Mais c'est rare. Maintenant, je pars.
Ainsi va la vie.
N'oubliez pas ce que je vous ai dit une fois. Comment devient-on mercenaire ? Dans l'indifférence générale.
Ce qui est bien quand même. C'est que je ne sais jamais où je vais aller après. Mais le monde aura toujours besoin de gens comme moi. Alors, je sais déjà.
Au loin, j'entends déjà le train qui siffle... pas à dire... que c'est triste un train qui siffle dans la nuit noire.
Triste et réconfortant à la fois...
Demain, je signerai un papier. Un petit chef me serrera la main. Me fera un faux sourire, de faux encouragements. Et puis je partirai.
Enfin, de mon point de vue. Parce que ceux et celles qui sont mercenaire comme moi, savent de quoi je parle.
Ça y est... je suis déjà loin.