Les aventures fabuleuses (ou presque) d'un Karleman
Comme la situation est comique.
C'est ce que je me disais en me levant ce matin. Je ne suis même plus étonné de ma situation financière, sociale et morale catastrophique dans laquelle je suis. Je ne stresse même plus. Je me lève. Je me lave. Je me rase. Je m'habille. Je prends mon petit déjeuner. Puisque je peux encore en prendre un...
Pendant ce temps-là, j'en connais une qui se lève aussi pour amener son gamin à la maternelle et aller prendre son poste pour ne pas en hocher une de la journée. Je ne peux m'empêcher de penser à elle, puisque c'est grâce à elle que je me trouve dans cette situation. Mais passons...
Il faut que je pense à moi.
C'est étrange, comme il m'est difficile d'écrire ici mon histoire. C'est difficile parce que j'ai fait confiance à quelqu'un qui se disait mon amie et qui m'a pousser à être plus humain alors qu'elle ignorait ce que cela voulait dire. J'aurais mieux fait de rester anonyme. Je préférais mon ancienne façon d'écrire. C'est sa faute aussi si je suis dans cet état d'esprit. Je n'arrive plus à être à l'aise... Mais peu importe. Nous continuons...
Il y a un mois, je me levais un peu plus tôt les matins pour aller à mon atelier emploi. Mais si. Vous savez, le cercle de demandeurs d'emploi dont je vous ai parlé. Et bien c'était ça. Je rejoignais le cercle des damnés de la terre. Et vous savez quoi ? Et bien... J'avais fini par m'attacher à ces personnes. Les gens m'aimaient déjà au bout d'une semaine ! Incroyable. J'ai le don de me faire "aimer". J'en suis toujours très étonné. Et vous savez quoi ? Et bien... moi aussi, je les aimais ces gens. Ces pauvres bougres naviguant dans la galère de la vie à rechercher un emploi qu'on ne trouve pas. Comme moi. Nous nous comprenions parce que nous étions dans la même situation. Avec des cas plus difficiles que d'autres. Le facteur chance joue aussi. Si vous avez une famille, c'est moins dur. Si vous êtes seul, ça l'est plus. Il y avait beaucoup de gens dans une extrême difficulté.
Dans ce cercle, il y avait le comique. Quel chic type ! Et dévoué aux autres avec ça. Il s'occupait de tout le monde. Il avait un mot gentil pour tous et disait bonjours à tous sans oublier personne. Et il nous racontait des histoires drôles, s'il vous plaît ! J'ai fini par perdre mon sérieux et je riais volontiers de ses histoires. Il avait réussi à me redonner le sourire. Non. Mieux que ça. Il avait réussi à me faire rire ! Un véritable miracle. Il était pauvre mais riche de l'intérieur. Je crois qu'il vivait en foyer.
Il y avait le gars qui soutenait tout le monde. Un brave type lui aussi.
Il y avait un type qui avait bossé dans la fonction publique jusqu'au jour où l'administration, après l'avoir bien exploité, lui a demander de partir. Et bien sûr, on l'avait pas titularisé. Alors il était en colère. Je le comprends. Je suis dans la même situation.
Il y avait la bande des trois copains. Des gars un peu loufoques qui vivaient dans un foyer ou même peut-être à la rue. Mais ne vous y trompez pas. Il y avait plus de chaleur et d'affection en eux dans leurs façons d'être en groupe que je n'en ai trouvé dans ma famille ou chez mes amis lorsque je croyais en avoir beaucoup.
Il y avait le petit jeune français d'origine maghrébin. Un garçon gentil, sensible, intelligent, cultivé et solidaire. C'est tellement rare que je ne peux m'empêcher de le souligner ici. Il me faisait beaucoup penser à moi lorsque j'avais son âge. Il s'était fait retirer son permis et confisqué sa voiture pour excès de vitesse. Comme la justice est sévère avec les petites gens. Elle l'est moins avec les grands bandits qu'elle craint et qu'elle traite mieux. Mais passons...
Alors le petit jeune avait perdu son travail à cause qu'il n'avait plus de voiture. Et pourtant il devait rembourser des tas de frais. Heureusement, je crois qu'il avait retrouvé un nouveau travail avant que je ne quitte l'atelier.
Il y avait aussi la jeune femme au cheveux châtain clair. Elle était un peu fière. Mais elle nous saluait malgré tout. Pas facile pour une femme de se retrouver avec trop d'hommes. Il y avait d'autres femmes. Mais très peu nombreuses. Elles formaient leur propre cercle dans notre cercle.
Je les regrette tous, ces gens.
Et puis, il y avait notre monitrice. J'ignore si c'est son titre. Elle était très touchante.
Finalement, on m'a gardé moins longtemps que je pensais. Je n'ai même pas eu le temps de faire vraiment connaissance avec les gens et de me faire des amis. Le cercle est brisé. Je n'étais que de passage.
Ce genre d'atelier emploi, j'en ai fait au moins quatre qui n'ont jamais abouti sur rien.
J'attends ma convocation de pôle-emploi. Cela fait un mois que j'attends.
Ma situation est de plus en plus catastrophique. Ce mois-ci va être difficile. Le prochain aussi...
Je continu à ne plus rien espérer. Je me lève les matins. Je me lave. Je me rase. Je m'habille avec mes pauvres vêtements. Je fais tout ça par habitudes. Je n'espère rien. Je ne crois plus en rien. Je suis sans espoirs, à présent...
Je me suis donc retrouvé seul dès la fin mai. Je devais donné de mes nouvelles. Je ne l'ai pas fait. Non. On oubli trop souvent que je suis un loup solitaire. Ces bêtes là n'ont pas de véritables attaches que leur propre territoire. Je ne suis dans le clan de personne... sauf du mien.
Je ne pars même pas en chantant au soleil couchant. Non.
Lorsque je partirai, ça sera une nuit. Ça sera un départ définitif. Et je crois que cela ne va plus tarder.